Pour le deuxième article de la rubrique « Pas seulement de la traduction » de Studio Moretto Group, je vous propose aujourd’hui une petite réflexion sur le monde du doublage, compte tenu de l’émoi suscité par certaines informations ayant circulé sur le thème de l’intelligence artificielle et des voix de célébrités, d’acteurs et doubleurs.
Le doublage est un service linguistique audiovisuel qui, en remplaçant ou en modifiant la voix originale, permet d’accéder à un contenu audiovisuel produit dans une langue autre que celles parlées dans le pays cible.
En italien, le terme « doublage » renvoie à tous les services qui sont réalisés dans ces termes, même si, en réalité, les techniques de réalisation et les domaines d’utilisation varient considérablement.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient donc de préciser ces différences afin que chacun prenne clairement conscience des services qui seront les plus touchés par l’introduction des nouvelles technologies et ceux qui le seront moins, d’après l’avis des spécialistes.
Plus précisément, le « doublage » désigne les principaux services suivants :
- Le doublage en synchronisation labiale (lip-sync dubbing), qui peut être réalisé sur la base d’un script fourni par le client ou après traduction et adaptation du contenu original. Il est recommandé pour le secteur de la diffusion (films, séries télévisées et publicités).
- Le voice-over, qui est à son tour un terme générique regroupant divers services tels que :
- Surimpression vocale, dans laquelle la voix du doubleur se superpose à la voix originale, qui reste audible en arrière-plan. Cette technique est réservée aux informations, aux discours, aux interviews ainsi qu’à certaines émissions télévisées spécifiques.
- Voix off, dans laquelle la voix originale n’est plus audible ; recommandé pour les podcasts, les spots radio et les documentaires.
- Lektoring, un service de niche populaire surtout en Pologne, dans lequel une seule personne lit tous les dialogues traduits, sans retranscrire aucune émotion.
Maintenant que ces distinctions nécessaires ont été apportées, abordons le problème dont personne n’ose parler : l’intelligence artificielle dans le monde des services audiovisuels et notamment dans le monde du doublage.
Entrée en force dans l’univers des services linguistiques, l’IA est de plus en plus utilisée dans le créneau du doublage, que l’on pensait au départ préservé du déferlement des nouvelles technologies.
En effet, dans l’imaginaire collectif, on voit difficilement comment un algorithme pourrait reproduire les multiples facettes de la voix humaine, tant du point de vue de l’expression, de l’intonation, de la cadence que de la prononciation.
Ce qui inquiète le plus les professionnels du secteur, c’est la capacité de certains logiciels à reproduire les voix des acteurs en langue originale et des comédiens de doublage avec une fidélité déconcertante, même si de telles répliques présentent des lacunes évidentes par rapport au doublage professionnel.
Par exemple, Christian Iansante, le doubleur historique de Rick dans la série « Rick and Morty », a déclaré avoir vu des extraits de la série qu’il n’avait jamais doublés, dans lesquels la voix de son personnage avait été reproduite par l’IA et ajoutée à la version italienne. David Chevalier, qui prête sa voix à l’autre personnage de la série télévisée, a constaté la même chose.
L’activité humaine dans le monde des services linguistiques est-elle donc vouée à disparaître à l’avenir et à être remplacée par des logiciels et des algorithmes, ou s’agit-il simplement d’une période de transition momentanée, d’une mode passagère due à l’engouement du moment ?
À mon humble avis, aucune des deux hypothèses, qui envisagent respectivement le pire et le meilleur des cas pour les travailleurs du secteur, n’est correcte.
D’une part, bien qu’il soit désormais raisonnablement certain qu’avec l’avancée de la technologie, l’IA deviendra un outil important dans divers domaines et secteurs, il convient de définir le champ d’utilisation de ces outils : s’agit-il de moyens destinés à soutenir l’activité humaine et d’accélérateurs des processus ou de substituts directs de la prestation effectuée par les êtres humains ?
Rappelons l’impact que l’e-book a eu dans le secteur de l’édition : d’abord présenté comme un substitut au livre papier, il a ensuite été considéré comme un outil utile pour soutenir l’ensemble du secteur à la suite de la crise de 2008. En effet, les éditeurs l’ont adopté afin d’élargir leur public et de conquérir de nouveaux utilisateurs attirés par ce support innovant, tandis que, dans le même temps, la plupart des clients fidélisés restaient attachés au papier. C’est ainsi que l’industrie est restée à flot pendant cette période difficile, à l’issue de laquelle elle a même connu une légère croissance.
C’est bien ce qui pourrait se produire dans le monde des services linguistiques : par exemple, l’IA pourrait rendre le doublage et le sous-titrage accessibles également aux utilisateurs qui, pour des raisons de prix ou de délais, se sont jusqu’à présent abstenus d’acheter ces services pour leur communication.
D’autre part, il est important de comprendre d’un point de vue économique si l’avantage compétitif de l’IA peut conduire à des économies concrètes à moyen et long terme par rapport aux coûts encourus pour les services « fabriqués par l’homme », ou si ces économies ne seraient qu’apparentes et liées au court terme, face à un alignement futur des prix sur les niveaux actuels pour le service qualitatif rendu par les êtres humains.
En l’absence d’une telle économie, toute la question tournerait une fois de plus autour de la qualité que nous avons fait exprès de ne pas aborder.
Un tel raisonnement n’a de sens que si l’on suppose que le niveau de qualité que l’IA sera en mesure d’offrir à l’avenir pourra réellement atteindre le niveau humain actuel… qui est loin d’être chose faite. En effet, à l’heure actuelle, le doublage humain se situe à un niveau bien plus élevé et, comme le dit le célèbre doubleur Luca Ward, « la capacité à entrer dans le personnage et l’empathie ne peuvent être reproduites artificiellement, tout simplement parce que les machines n’ont pas de cœur » et, selon ses prévisions, il est donc peu probable que cet objectif soit atteint à l’avenir.
Personnellement, je suis plutôt d’accord avec le raisonnement de Ward et cela reste vrai, à mon avis, dans tous les domaines où l’utilisation de l’IA et des technologies similaires a été et sera répandue.
Il ne fait aucun doute que ces outils, qui sont déjà très utiles aujourd’hui, contribueront à l’avenir à accroître davantage la production et à réduire les délais de réalisation nécessaires pour les services standard.
Par exemple, ils permettront d’accélérer la réalisation des voix off, en particulier pour les contenus simples, courts et reproductibles, tels que les tutoriels et les cours vidéo.
Pour d’autres services, en particulier les services de divertissement où le jeu d’acteur et la composante humaine se caractérisent par une forte émotivité (c’est le cas du doublage pour les grandes productions cinématographiques), il sera toujours nécessaire de faire appel à un interprète humain qui, dans ce cas, pourra être assisté par l’intelligence artificielle, notamment dans la phase de post-production.
Il n’est donc plus question d’avantage concurrentiel mais d’avantage mutuel : pour certains services spécifiques à bas profil, l’IA offre un avantage économique et de rapidité indéniable. La traduction humaine, quant à elle, permet de maintenir des niveaux de qualité élevés, et pas seulement : les principaux avantages de la traduction humaine resteront toujours l’impact de la communication et la profonde émotivité.
Pourquoi, dès lors, renoncer nécessairement à l’un des deux alors qu’il est possible de tirer le meilleur parti de leurs qualités respectives et de rendre les services accessibles à un plus grand nombre d’utilisateurs ?
Êtes-vous d’accord avec cette analyse ou, au contraire, estimez-vous que les scénarios ci-dessus, voire d’autres hypothèses que je n’ai pas envisagées, sont plus probables ?
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