La valorisation des langues régionales constitue depuis quelques temps l’une des préoccupations de l’Union européenne : c’est l’eurodéputé corse François Alfonsi qui a présenté mercredi 11 septembre 2013 un rapport sur les langues menacées de disparition et la diversité linguistique en Europe. En France, la Charte des langues régionales qui figurait parmi les engagements de campagne présidentielle de François n’a pas été ratifiée du fait de son incompatibilité avec l’art. 2 de la Constitution française disposant que « la langue de la République est le français ».
Cette décision avait provoqué une levée de boucliers chez les défenseurs des nombreuses langues régionales de notre pays. On remarque par ailleurs une recrudescence de l’intérêt porté à ces parlers si précieux pour notre patrimoine : rappelons la publication récente du Petit Nicolas en corse et la traduction d’un album de Tintin en wolof. Ce dernier s’intitule « Kumpag wàngalàng wi » et constitue une traduction de l’album « Le secret de la licorne ». L’ouvrage contient une brève introduction aux règles d’orthographe et de grammaire du wolof ainsi qu’un lexique constitué de 350 mots ou expressions.
Les langues régionales constituent un élément du patrimoine culturel de la France (aspect inscrit dans notre Constitution depuis 2008 avec l’intégration de l’article 75.1). Elles sont porteuses de valeurs, de culture et d’identité comme nous le verrons dans cet article.
Commençons par parler de l’influence des langues régionales sur la langue commune.
Les sonorités, structures lexicales, la terminologie utilisées dans le parler de certaines régions laissent des traces qui caractérisent l’identité d’une population. En région Rhône-Alpes par exemple, on parlera de « vogue » pour évoquer la « fête foraine », terme que ne connaîtront pas les Parisiens. Par ailleurs, il est fréquent de voir dans les petits villages (surtout en été) des manifestations rendant hommage à la tradition locale et donc aux dialectes : par exemple, en Auvergne, de nombreuses fêtes patronales proposent la danse de la bourrée dont les textes ont été conservés en patois. On retrouve également des traces des parlers régionaux dans la toponymie de certains lieux : Casa Mozza (Corse, maison démolie), Feixa LLarga (qui signifie Pays-Basque).
Malheureusement pour ces parlers, ils ne sont que peu connus du public national. En effet, qui a déjà entendu parler de Frédéric Mistral qui a obtenu le Prix Nobel de Littérature en 1904 ? ou encore de Jean Alambre et d’Armand Got ? des écrivains de langue régionale qui contribuent à la préservation d’un idiome qu’ils chérissent.
C’est précisément parce que le public n’est pas familiarisé avec les traditions dialectales que ces parlers perdent du terrain à grande vitesse. Prenons le cas de l’alsacien : l’Office pour la Langue et la Culture d’Alsace estime que 43 % des Alsaciens sont en mesure de comprendre leur langue (ce qui est un chiffre important lorsqu’on le compare avec d’autres langues régionales), mais le véritable problème se pose lorsqu’il s’agit de fournir une estimation du nombre de personnes capables d’interagir dans cette langue : selon le romancier alsacien René-Schickele, ils seraient à peine 10 %. À Strasbourg, cette langue connaît un véritable déclin : la présence d’institutions européennes a renforcé le besoin d’une langue unique et a ainsi affaibli l’importance accordée à l’alsacien. Notons que la proximité de ce dialecte avec l’allemand rend la compréhension de l’allemand plus facile, sa connaissance et sa pratique constitueraient donc un véritable atout.
C’est ainsi que le 14 mai dernier, les fervents défenseurs des langues régionales se sont réunis devant le siège de l’UNESCO pour demander l’« asile culturel » et pour appeler l’institution à faire pression sur le gouvernement français
Enfin, nous souhaiterions vous parler d’une initiative qui a été créée en faveur de la préservation des langues régionales. Il s’agit du projet « Enduring Voices » développé par National Geographic et Living Tongues Institute for Endangered Languages qui a organisé à Santiago (Chili) un atelier permettant de créer 9 dictionnaires électroniques contenant de nombreux termes appartenant aux dialectes suivants : Mapudungun, Tsesungún, le Chanca, le Yanesha, le Miahuatec Zapoteco, le Mazahua, le Mam, le Pipil, le Chiquitano.
Nous clôturerons cette réflexion avec une citation de Jean Jaurès qui affirmait : « Il n’y a pas de meilleur exercice pour l’esprit que les comparaisons entre la langue occitane et la langue française par exemple ; cette recherche des analogies et des différences en une matière que l’on connaît bien est une des meilleures préparations à l’intelligence ».