Gregory Bateson était un épistémologue anglais très influent dont les idées et études de grande envergure le conduisirent à mettre en place une méta-science des systèmes. Dans son ouvrage philosophique « Mind and Nature », il mentionne à plusieurs reprises le « système qui relie ». Grâce aux indices qu’il préleva dans la nature, Bateson envisagea un univers harmonieux qui transparaît dans les lois mathématiques de l’esprit. Il était certain que toutes les choses envisageables devaient appartenir à des règles ou principes communs, dont le plus général serait le système qui relie.
La perception du système qui relie peut intervenir à tous les niveaux du réel et de manière infinie. Il est toujours là, soulignant les phénomènes qui attirent notre attention, tel un archétype caché. Prenons comme exemple ce que j’appelle les États-Unis de la langue anglaise. Autrement dit, la variété infinie de langues « anglaises » parlées dans le monde entier du fait de la mondialisation. Certains de ces « dialectes » sont tellement éloignés les uns des autres qu’ils présentent presque un rapport d’incompréhension réciproque ; mais ils peuvent être regroupés en tant qu’ensemble distinct. Il existe un élément commun à tous ces parlers qui maintient leur union, quelque chose qui ne se voit pas immédiatement.
Peu importe les efforts que nous mobilisons pour cultiver une vision objective du monde dans lequel nous vivons, nos différences et restrictions innées finissent toujours par rendre nos perceptions subjectives. Bien qu’un accord avec la réalité reconnu par la plupart des personnes existe et nous affecte de plusieurs manières, notre manière d’appréhender le cosmos est toujours intimement liée à notre expérience personnelle. À la suite d’une observation superficielle, un linguiste japonais pourrait penser que les structures de la langue allemande et anglaise sont essentiellement identiques, tandis qu’un linguiste anglais pourrait être surpris de savoir que les Allemands et les Japonais placent le verbe en fin de phrase.
Existe-t-il un système méta commun à tout cela ? S’il existe, il nous faut aller le chercher au-delà de la perspective subjective anglaise, japonaise ou allemande, il faut aller au cœur de la faculté linguistique. Pour qu’un principe devienne véritablement universel, il doit s’appliquer à chaque champ d’activité humaine, en linguistique comme en physique. Par conséquent, notre recherche doit se concentrer sur des concepts généraux que l’on a tendance à négliger, à prendre pour acquis.
Ce n’est un secret pour personne que les livres japonais sont écrits à l’envers. Mais la vrai question est de savoir s’ils doivent tourner leur tête pour réussir à lire, non je rigole bien évidemment. Exception faite du grand maître Léonard de Vinci aux multiples talents, très peu d’Occidentaux ont conservé ce sens d’écriture. Le sens est une force puissante qui forme des civilisations entières et qui, comme beaucoup de principes généraux, passe souvent inaperçu.
L’ouvrage « Tao Tö King », qui recense toute l’essence de la philosophie taoïste, énonce qu’une fois perdu dans la perception des détails, le sujet a du mal à identifier leur source. Comment le sens affecte t-il la langue ? Si l’on regarde la syntaxe anglaise de plus près pour la comparer à la syntaxe japonaise, on s’aperçoit immédiatement d’une différence nette : en anglais, vous diriez : « je vais à la maison », lorsqu’un japonais dirait, « je à la maison vais ». Mais il y a pire encore ! « J’ai parlé au monsieur dans le jardin » devient en japonais « Je jardin dans l’homme parlé ». Essayez de parler comme ça pendant toute une journée, et vous m’en direz des nouvelles !
La prochaine fois que vous entendrez un Japonais être aux prises avec l’anglais, vous comprendrez alors qu’il est en train de faire bouger ses méninges pour les faire travailler dans l’autre sens et essayer désespérément de se faire comprendre. Le principe général du sens appliqué à la syntaxe humaine indique les raisons qui font que certains locuteurs étrangers éprouvent des difficultés à s’exprimer dans un anglais correct.
Je suis pour ma part fier d’avoir réussi à faire penser mon élève japonais Kentaro Isobe en anglais grâce à quelques astuces concoctées sur la base des lois sur la direction. Je pourrais continuer cette petite histoire en vous racontant qu’il m’a simplement fallu reparamétrer un ou deux « interrupteurs » pour l’élever au-dessus de millions de locuteurs anglais et japonais, la facilité avec laquelle il a appris à relier des phrases pour ne pas avoir l’air d’un extra-terrestre…