Comment éliminer les barrières culturelles qui nous empêchent de comprendre pleinement des cultures différentes de la nôtre ? Réponse avec notre traducteur et expert linguiste américain.
Les anthropologues utilisent le terme « ethnocentrique » pour désigner le comportement adopté face à une culture étrangère. Les spécialistes en la matière nous mettent toutefois en garde contre cette attitude qui entrave la collecte de données et d’informations que la culture étudiée pourrait transmettre à toute personne qui le souhaiterait et travaillant probablement dans un domaine exigeant une telle écoute. L’objectif de l’anthropologie consiste à comprendre l’homme dans son contexte social et à obtenir des modèles descriptifs, voire si l’on est chanceux, explicatifs.
Si vous pensez ne pas être ethnocentrique, réfléchissez-y à nouveau. Quelque part dans le monde, en Papoue-Nouvelle-Guinée, me semble-t-il mais je n’en suis pas sûr, des personnes mangent les morts. Sauvagerie, me direz-vous ! Quoi de plus sauvage que de manger ses proches après leur mort ? Quoi ? Pas d’enterrement ? Personne pour porter le cercueil ? Aucune signature à l’église ? Aucune homélie ? Aucun éloge ? Mais c’est quoi ces manières ? Et oui, comme je le disais, vous êtes bien ethnocentrique. Incapable de surmonter les barrières culturelles si votre vie en dépendait, et vous pensez certainement avoir raison.
Eh bien, laissez-moi vous dire une chose. Beaucoup de personnes pensent qu’il est bon de manger les insectes. Personnellement, je ne le ferais pour rien au monde et je n’arrive pas à comprendre comment certaines personnes peuvent les manger. C’est la chose la plus dégoutante à laquelle je puisse penser, mais si j’avais été élevé parmi ces gens, je sais que je trouverais cela non seulement normal, mais peut-être même délicieux. Où est-ce que je veux en venir ? Je veux dire que la culture est une question de consensus. La manière de penser, d’agir, ce que vous aimez, ce que vous mangez, les vêtements que vous portez, même vos croyances spirituelles, la langue que vous parlez, tout cela dépend des personnes qui vivent près de vous.
Avec l’émergence des technoscapes mobiles, la notion de proximité a connu une évolution considérable, puisque des personnes vivant à chaque bout de la planète peuvent échanger leurs goûts et opinions, voire partager des caractéristiques culturelles, mais cela ne change pas le fait que la réalité est une question de consensus. Ce consensus, expérimenté par l’individu en tant qu’identité, se dessine très tôt. Le langage n’est pas le seul à s’installer avant la puberté, il y a aussi la manière dont on voit les choses, la distinction entre le vrai et le faux, le possible et l’impossible, la réalité et l’irréel.
Pour dépasser ces barrières à l’âge adulte, il faut s’armer d’une volonté d’acier. Il faut être une personne très spéciale. Une personne qui n’est pas satisfaite des choses telles qu’elles sont. Une personne qui osera défier le ciel si on lui a enseigné que le ciel était à la base de sa culture. Un briseur de tabous. Un iconoclaste. Il existe quelque chose qui n’est rattaché à aucune loi humaine, quelque chose d’immanent, un potentiel infini qui ne s’identifie à rien et à tout en même temps. Ce quelque chose n’a pas de nom, ni de culture, ni de croyance, ni de date de naissance, ni de carte d’identité, di même de mère, de père ou encore de langue. C’est une énergie véritable.
C’est ce potentiel qu’il vous faut invoquer lorsque vous passez d’une culture à une autre afin d’éviter le choc culturel évident. Il est bon d’adopter une attitude non critique, libre de tout préjudice, d’avoir le désir de devenir quelqu’un d’autre que ce que vous pensiez être, de savoir que ce qui est réel n’est pas une question de consensus. Bien évidemment, une fois que vous aurez ouvert cette porte, vous ne serez plus jamais la même personne. Il y a très longtemps, une femme d’origine allemande m’a dit que lorsqu’on parle deux langues, on devient deux personnes différentes. J’ai gardé cette phrase en tête pendant très longtemps jusqu’au moment où j’ai compris que la vérité se trouvait derrière la vérité ; autrement dit, après avoir effectivement éliminé les barrières imposées par votre endoctrinement culturel de naissance, vous ne devenez pas une autre personne, vous devenez personne et tout le monde à la fois.
Tout au long de votre vie, vous pouvez vous amuser à « batifoler », en vous identifiant à telle ou telle culture, en parlant telle ou telle langue, en chantant telle ou telle chanson. Je le sais, parce que je l’ai fait pendant si longtemps que je n’ai pas envie de me rappeler combien de temps cela a duré.
C’est tellement amusant ! Vous découvrez de nouvelles façons de faire, de nouveaux modes d’alimentation, de nouveaux sons, de nouveaux amis, de nouvelles perspectives, de nouvelles formes d’art, une nouvelle histoire, un nouveau cinéma, de nouvelles croyances, de nouvelles légendes et superstitions, de nouvelles vacances, de nouveaux jeux, de nouvelles blagues, de nouvelles façons de faire la fête, de nouvelles façons de danser, de nouvelles langues ! Cela devient tellement facile que vous changez de culture comme vous changez de vêtement.
Ce genre de connaissance est très utile lors du processus de traduction. En effet, la construction des phrases à laquelle vous étiez habitué dans votre langue n’est pas la même que celle utilisée dans l’autre langue. Il n’existe aucun consensus général sur la manière de penser, de raisonner. La plupart du temps, traduire mot-à-mot ne donne rien de bon. Tous les natifs de langue anglaise s’accordent pour dire que leur manière de parler, de penser, de construire une argumentation ne ressemble en rien à celle que l’on retrouve en italien, hindi, swahili, etc.
Et ceci n’est qu’une opinion parmi un nombre infini.