Il est vrai que la vie d’un traducteur est essentiellement marquée par des traductions spécialisées; cependant, la traduction littéraire joue elle-aussi un rôle primordial : sans elle, les œuvres de Shakespeare, d’Agatha Christie, de Charles Dickens, de Kafka… seraient restées inconnues au public francophone. On assiste actuellement à une augmentation du nombre de traducteurs littéraires comme en témoigne la présence accrue de traducteurs littéraires au salon du livre qui s’est tenu le 21 mars dernier à Paris.
Alors, qu’est-ce que traduire la littérature ?
Afin de se faire connaître d’un public étranger, une œuvre littéraire doit être à même de parler à l’imaginaire collectif par le biais de références culturelles, de jeux de mots appropriés. Cependant, il peut s’avérer parfois difficile de traduire des concepts qui existent dans la langue de départ mais pas dans la langue d’arrivée. Citons notamment la traduction d’un terme qui peut sembler extrêmement simple : « lilas » : comment traduire cette notion en islandais, pays qui ne connaît pas cette réalité ? De même, le mot français « pain » est généralement traduit en tchèque par « chleb », un terme qui n’englobe pas le pain blanc le plus répandu en France. On se rend donc bien compte que la traduction littéraire induit des pertes.
Quelle est donc la technique utilisée par les traducteurs pour réduire au minimum ces pertes de sens ?
C’est l’adaptation consistant pour le traducteur à adopter la plume de l’écrivain tout en insérant le contenu de l’œuvre dans un autre contexte qui pourra être compris du public cible, c’est ce que l’on appelle également la « domestication ». En effet, pour éviter les pertes de sens, il est nécessaire de se « détacher » des mots pour en extraire le sens, l’effet qu’ils produisent sur le lecteur et que le traducteur devra s’attacher à reproduire.
En guise d’exemple, nous pourrions citer le personnage Pippi Långstrump créé par l’auteur suédoise Astrid Lindgren et qui fut transformée en « Fifi brindacier ». La traduction littérale du nom original était « Pippi longue chaussette » qu’il fut impossible de conserver en raison de la signification en français de « pipi ».
Contrairement à la traduction technique pour laquelle l’auteur peut se permettre d’insérer des notes de bas de pages expliquant notamment la différence entre deux concepts culturels, en traduction littéraire, il est préférable de sacrifier l’exactitude au bénéfice de l’émotion suscitée chez le lecteur. Ainsi, on privilégiera l’utilisation de jeux de mots, d’équivalences même s’il ne s’agit pas de la copie exacte de l’original, car ce qui compte en littérature, c’est de créer des sensations uniques à même de toucher profondément le public. Par ailleurs, l’insertion de remarques également appelées « notes du traducteur » (que l’on retrouve plus communément sous sa forme abrégée « N.d.t ») risquent de casser le rythme du récit, le lecteur devant faire une « pause » dans l’histoire pour prendre connaissance des observations du traducteur.
Enfin, certains traducteurs estiment qu’il est nécessaire de supprimer certains passages, voire des chapitres entiers. C’est notamment le cas de la traduction de Moby Dick effectuée par Philippe Jaworski en 2006 : le traducteur avoue dans sa « Note sur la traduction » avoir délaissé les parties descriptives relatives à des développements scientifiques appartenant à un monde qui n’existe plus à l’heure de l’écriture.
Pour assurer le succès d’un ouvrage à l’étranger, un auteur doit faire appel à un traducteur capable de retranscrire l’univers de l’auteur, la musicalité de son écriture, sa rythmique tout en l’adaptant au public cible.