Il y a quelques mois de cela, nous avions parlé des résultats découverts par les scientifiques au fil des années qui ont étudié en long et en large la production de phones et grâce auxquels le langage a jailli de la forme physique du son, d’autant plus qu’il existe désormais des automates capables de reproduire certaines fonctions essentielles du langage humain. La réussite de l’application scientifique des théories linguistiques et la commercialisation des machines que l’on attribue aux études sur le langage confirment qu’il s’agit d’un phénomène physique dont tous les secrets finiront par être dévoilés par le travail approfondi de la recherche scientifique.
Pourtant, si vous rapprochez le microscope de quelque chose d’assez long, il commencera à bouger. La science moderne étudie des niveaux de matière encore plus abstraits, comme ce fut le cas pour la physique quantique et ses découvertes renversantes en termes de conscience et de perception. En parallèle, les linguistes culturels s’intéressent aux aspects abstraits du langage, à ses relations réciproques avec la conscience, la perception et l’identité. Ils observent notamment comment les membres d’un groupe quelconque partagent toujours des similitudes culturelles et linguistiques constituées d’une terminologie et d’expressions pouvant être difficiles à comprendre pour des personnes étrangères à ce groupe. Bien que les groupes situés à sa périphérie lui ressemblent suffisamment pour établir des liens de communication, d’autres groupes présenteront des différences proportionnelles à la distance les séparant de l’autre groupe ainsi qu’à la densité du discours.
Bien plus que l’histoire, c’est la géographie qui définit notre apparence, notre manière de penser, la langue que nous parlons.
D’un autre côté, la fluidité du processus d’identification est connue de tous les acteurs et artistes en général, qui parviennent aisément à imiter des accents et des états d’âme, à se mettre dans la peau de personnages ne présentant parfois aucune caractéristique commune avec la personne qu’ils incarnent au quotidien. Un acteur risque par exemple de se perdre dans son jeu et de se confondre complètement avec son personnage, en oubliant sa véritable identité. On peut dire qu’il s’agit plus ou moins du mode d’existence de monsieur tout-le-monde : nous répétons constamment des actes que nous avons acquis et avec lesquels nous nous identifions parfaitement, au point d’oublier notre première identité. C’est comme répéter quelque chose pendant une longue période, cela devient un rituel, une tradition avant de se cristalliser et de devenir notre nouvelle culture. C’est ce sentiment profond de séparation qui fait naître le désir de devenir un autre. C’est à ce moment précis que nous prenons conscience que langage et identité sont synonymes de signification, de perception.
Après avoir compris ce phénomène, on comprend mieux pourquoi la traduction exige d’abandonner ses traits idiosyncrasiques pour s’imprégner du ton et des qualités du texte d’origine. La syntaxe et la prosodie sont révélatrices de l’identité de l’écrivain, qui transparaît au travers des vagues et trajectoires du fleuve de mots. Après avoir accompli ce premier travail important d’interprétation et d’identification, il faut prendre une décision toute aussi cruciale : comment conserver le sens que l’auteur souhaite donner au texte tout en conférant au texte d’arrivée une fluidité naturelle, authentique ?
C’est en abandonnant temporairement un ensemble de règles pour en embrasser d’autres que le traducteur doit « devenir un autre ».