Luca Moretto, interprète senior auprès de SMG Italia nous révèle quelques astuces sur l’interprétation simultanée.
La véritable interprétation simultanée est un art qui se travaille avec plusieurs centaines d’heures d’expérience et qui éclot uniquement lorsque l’interprète apprend à gérer les temps du discours.
Les phases de la simultanée
Interpréter en continu et lorsque l’orateur parle revient à prononcer la traduction de la première phrase de l’orateur lorsque celui-ci en est déjà à la deuxième et ainsi de suite, sans pauses et sans hésitations susceptibles de brouiller, gêner et éveiller les soupçons du public.
Dans la pratique, l’interprète simultané prononce la traduction tout en écoutant l’orateur et, tout en s’écoutant lui-même, afin de corriger d’éventuels lapsus et s’assurer que la traduction est fidèle au discours de l’orateur en termes de contenu, de style et d’intonation.
L’interprétation simultanée est assurément une technique d’interprétation difficile, basée sur la simultanéité de processus mentaux qui se superposent les uns aux autres : écoute de l’orateur, production linguistique de la traduction, écoute critique de son « rendu », et, le cas échéant, correction de ce qu’il vient de dire.
Il existe un phénomène à la limite de la crédibilité : lorsque l’interprète est en syntonie avec l’orateur et le discours, il parvient souvent à anticiper la conclusion de la phrase de l’orateur et peut ainsi commencer à la traduire avant de l’avoir entendue, sous sa forme complète. Ce phénomène d’anticipation lors de la traduction souligne l’importance de bien connaître le sujet traité et surtout, de savoir gérer les temps de la traduction afin de rester serein et garder une certaine empathie vis-à-vis de l’orateur.
Sources de surcharge mentale
Dans certains cas, le rythme de travail de l’interprète devient tellement que les conditions pour gérer efficacement les processus mentaux de traduction et d’écoute ne sont pas réunies effréné ; l’empathie envers l’orateur risque d’en souffrir.
Voici quelques-unes des principales sources de stress chez un interprète :
- Problèmes d’audio : lorsque la qualité du son diffusé dans les oreillettes est insuffisante, il est nécessaire de redoubler de concentration pour bien écouter ; il est donc conseillé d’effectuer au préalable des essais audio avec le technicien.
- Orateurs agités : si l’orateur parle rapidement car anxieux de s’adresser à un public, la seule chose à faire est de le suivre ou de lui indiquer gentiment de ralentir.
- Traduire les nombres et les dates : cela est particulièrement vrai lors de conférences scientifiques et économiques au cours desquelles les orateurs énoncent des nombres et données statistiques que l’orateur doit rendre le plus vite possible ; l’idéal serait d’anticiper leur place dans la phrase afin d’éviter des oublis dommageables. La présence d’un collègue à nos côtés prenant note des nombres nous permettant ainsi de les lire et de les traduire est très certainement utile.
- Tournures tortueuses : comme dans les simultanées politiques, il convient d’écouter et de réélaborer toute la phrase ou, même plusieurs phrases car le sens du discours est compliqué, énigmatique… ou peut-être que l’orateur se sert de la rhétorique pour prendre son temps et éviter de répondre à la question ?
- Discours discontinu : n’oublions pas enfin les orateurs qui ne finissent pas leurs phrases, qui ouvrent une multitude de parenthèses sans jamais les fermer, mais la liste est encore longue !
La gestion des temps dans la simultanée
Et le secret de la gestion des temps ? C’est une capacité à rester « le plus proche possible » de l’orateur qui s’acquière et se travaille avec le temps. Elle consiste à ne pas dépasser 8-12 secondes entre l’écoute et la retranscription orale de l’interprète.
En interprétation simultanée, les interprètes font appel à la mémoire à court terme qui, une fois les 8-12 secondes écoulées, joue un mauvais tour à l’interprète et supprime ce qu’il a écouté, et le plonge dans de profondes vides de mémoire. Par ailleurs, plus la distance entre l’interprète et l’orateur est importante, plus notre cerveau peine à garder tout en mémoire, réduisant ainsi les ressources cérébrales disponibles pour rendre une bonne traduction et respecter le registre et l’intonation de l’orateur.
Au vu des circonstances, il convient donc de « rester à proximité de l’orateur » pour limiter les difficultés, faciliter la capacité de mémorisation, mieux traduire à la vitesse d’un sprinter. Et si vous souhaitez vous accorder quelques secondes supplémentaires pour mieux comprendre une phrase énigmatique, sans vous arrêter, l’expérience vous apprendra à ralentir la traduction tout en conservant un bon style oratoire, en prenant quelques fractions de seconde, le temps nécessaire pour permettre à votre cerveau de réélaborer le discours.
Et si… et si… Pas de panique, vous êtes encore en vie ! Vous avez appris à économiser vos forces et vous pourrez donc donner le meilleur de vous-mêmes pour réussir vos interprétations simultanées.
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