Il y a quelques semaines de cela, le journal l’Humanité publiait une interview de Nathalie Heinich, sociologue, directeur de recherche au CNRS et Danielle Bousquet, présidente du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, interrogée sur la féminisation de la langue française. Nous avons donc souhaité approfondir ce sujet pour analyser les développements de ce processus.

Contrairement à l’allemand qui possède trois genres, la langue française comme ses cousines romanes, ne possède que deux genres, le masculin et féminin. C’est au 17e siècle qu’il a été décidé de choisir l’un des deux genres pour généraliser et neutraliser l’autre genre : c’est ainsi que le masculin devait l’emporter sur le féminin. Les choses commencèrent à se corser avec l’émancipation de la femme et sa présence de plus en plus notable dans le monde du travail. L’Académie française (1635) étant gardienne de la langue française, celle-ci veille à adapter la langue française avec les évolutions auxquelles est confrontée la société. C’est ainsi qu’en 1935 la 8e édition du Dictionnaire de langue française faisait mention de noms féminins tels que « postière, pharmacienne, artisane, etc.. ». Mais l’autorité bienveillante reste fidèle aux règles propres de la morphologie française et rejette tout abus de féminisation qui irait à l’encontre des principes de dérivation : « professeure, sapeuse-pompière » sont donc à bannir si l’on s’en tient aux Recommandations de l’Académie française.

En 1984, la Commission générale de terminologie et néologie a publié un rapport intitulé « La féminisation des titres et fonctions et du vocabulaire concernant les activités des femmes », dans lequel elle rappelle combien il est important de fixer les limites de la féminisation pour éviter de porter préjudice à la langue. Cette publication établit aussi une différence claire entre les noms de métiers (boulangère, artisane) et les fonctions, titres et grades officiels. En effet, pour ces derniers, il est préconisé de toujours rester neutre et d’avoir recours au masculin (comme nous l’imposent les règles sur la distribution des genres qui remontent au bas latin). Ce choix trouve sa justification dans l’impersonnalité des fonctions qui sont indépendantes du sexe de la personne qui les exercent, la fonction étant abstraite et donc neutre. Pour faire plus simple, citons le document « On n’est pas sa fonction. On l’incarne ». Il en va de même pour les grades qui restent toujours identiques, ils ne sauraient subir les modifications orthographiques selon que la fonction est occupée par un homme ou une femme, ces derniers n’ayant aucun rapport de possession avec le poste en question. Le rapport précise toutefois qu’il est possible de faire preuve d’une certaine souplesse, notamment dans le cas d’échanges informels tels que des courriers, e-mails, etc. à la demande éventuelle de l’intéressée qui souhaiterait voir sa fonction/grade au féminin.

Voyons à présent ce qu’il en est chez nos voisins italiens et espagnols, héritiers eux aussi de la tradition romane. En espagnol, la formation du féminin est nettement plus simple et n’entraine pas de changements morphologiques. L’Espagne et la France sont donc deux pays qui ont été très actifs à ce niveau là, ce n’est pas le cas de l’Italie qui semble stagner depuis plusieurs années. La première chose qui frappe aux yeux en consultant des documents officiels italiens est l’absence de cette distinction entre métiers et fonctions/grades/titres ; il n’est pas rare en effet d’observer le féminin « senatrice » (le féminin de sénateur). Les féminins faciles à construire sont aussi faciles à accepter, c’est le cas des suffixes -aio qui deviennent -aia ou encore -iere qui se transforment en -iera. Mais d’autres sont plus difficiles à accepter, notamment par les premières intéressées. En effet, la ministre Stefania Prestigiacomo et la sénateur Ombretta Colli boudèrent la féminisation de leur fonction par peur de la méfiance qu’un tel changement pourrait engendrer à leur encontre. L’usage veut qu’en l’absence d’une forme féminine déjà existante, il faut avoir recours à l’article défini/indéfini féminin et garder le nom commun masculin.

N’hésitez pas à nous écrire si vous disposez d’informations supplémentaires à ce sujet !

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