Emprunter le titre de l’un des ouvrages jungien de Joseph Campbell les plus célèbres est ma façon à moi d’introduire la dimension mythologique de l’enseignement. Selon le mythe grec qui a informé la culture européenne et occidentale en général depuis sa création, le premier professeur de l’humanité fut incarné par Prométhée qui a volé le feu des Dieux et en a payé le prix fort.
Il y a environ 2500 ans, Confucius enseigna que l’éducation ne devait pas être uniquement réservée aux riches, mais devait également être accordée à ceux qui la méritent, indépendamment de leur origine ou de leur rang social. Il a consacré toute sa vie à la recherche d’un dominateur éclairé qui aurait prêté attention à ses mots et apporté les cieux sur Terre, créant une société juste fondée sur le mérite plutôt que sur l’ascendance. Son élève préféré, celui supposé continuer ses enseignements après sa mort, rendit prématurément l’âme après avoir levé les yeux vers le ciel et lancé : « Les cieux sont contre moi ! »
Dans le roman de science-fiction d’H. G. Well intitulé « L’île du docteur Moreau », un scientifique fou réalise des expériences sur des animaux en leur injectant des fœtus pleins de sang humain devenant ainsi des créatures moitié-hommes moitié-bêtes capables de marcher droit et de parler la langue des êtres humains, sans aucune difficulté. Son but ultime est d’atteindre une nouvelle forme de vie dépourvue de toute malice, une nouvelle humanité dont il serait le Père. Comme on peut s’y attendre, le nouvel homme provoquera une rébellion qui finira par tuer ce qu’il avait créé.
Et nous en arrivons maintenant au producteur visionnaire Werner Herzog, auteur de nombreux ouvrages exceptionnels, dont « Fitzcarraldo », récompensé du prix du meilleur scénariste 1982 au Festival de Cannes. Cet exploit cinématographique dans lequel ont joué l’acteur allemand controversé Klaus Kinski nous plonge dans un voyage mythique au cœur de la jungle amazonienne, là où notre héro rêve de construire un opéra. Bien que les débuts semblent quelque peu loufoques, nous sommes ensuite hypnotisés par le pouvoir mondial de la passion d’un homme, en ce qu’il surmonte les curiosités les plus improbables pour atteindre son objectif irréalisable.
L’une des scènes phare et probablement l’une des plus bizarres du film se déroule sur un bateau à vapeur navigant sur un affluent de l’Amazone, muni d’un gramophone à plein volume qui diffuse la voix du ténor italien Caruso dans ce milieu sauvage. Aussi hasardeux et ambitieux qu’est son projet, le courageux Fitzcarraldo réussit à rallier la population indigène hostile à sa cause et même à bénéficier de leur aide en tirant physiquement son bateau à vapeur de 320 t au-dessus d’une colline boueuse à 40° grâce à un portage et à l’amener à la rivière suivante !
Ajouter à cela le mantra émouvant d’« Amazing Grace », l’hymne religieux le plus apprécié en Amérique et vous aurez emmagasiné un pouvoir émotionnel suffisamment important pour vouloir convaincre un groupe hétéroclite de travailleurs hispanophones à apprendre l’anglais. Cela ne veut pas dire que vous y arriverez parce que même si vous y arrivez, votre triomphe ne sera que temporaire, illusoire. Trop de choses ont eu lieu entre le Mexique et les États-Unis ; la première étant une guerre sanglante à l’issue de laquelle les USA ont annexé la moitié de ce qui constituait à l’époque le Mexique : Californie, Arizona, Nevada, Nouveau-Mexique, Texas, Florida, si ces États vous semblent espagnols, c’est parce qu’ils le sont effectivement. La culture hispanophone est bien vivante dans cette partie des États-Unis, la moitié de la population de la ville de Los Angeles est constituée de Mexicains ou d’autres cultures latinos.
« Cielito Lindo » et « Hasta Siempre Comandante » sont des titres qui capturent votre âme ; ainsi, ce ne sont pas vos étudiants qui apprendront l’anglais, une langue incompréhensible pour la plupart d’entre eux, mais c’est vous qui apprendrez à communiquer en espagnol qui, pour les Américains, comme pour toutes les personnes vivant sur Terre, est la langue la plus romantique.
Cela ne signifie toutefois pas que l’on devrait arrêter d’essayer d’enseigner les habitudes et traditions des uns et des autres. La beauté est omniprésente, malgré toute la folie et la tristesse et c’est pour cette beauté que nous devons vivre, mettant de côté nos peurs et préjudices.
Comme Orphée, nous aurons le pouvoir de défier Hadès.