En tant qu’étudiante en traduction, j’ai déjà été confrontée à de nombreuses idées reçues concernant l’apprentissage des langues étrangères et la traduction. La première de ces idées étant que l’anglais dominera le monde demain et que toutes les autres langues régionales ou nationales sont appelées à disparaître. Autrement dit, le métier que je souhaite exercer est-il appelé à disparaître lui aussi ?
On peut effectivement tous constater le vaste terrain qu’occupe la langue anglaise aujourd’hui : la musique, les programmes et séries télévisés, le cyberespace et son jargon presque 100 % anglais, les nouvelles technologies, etc. Sans oublier que bien souvent l’anglais est utilisé comme langue de communication dans des situations professionnelles internationales ou encore par les touristes en visite dans des pays dont ils ne connaissent pas la langue.
D’un autre côté, on peut aussi constater que de nombreux pays possèdent plusieurs langues officielles qu’ils ont su préserver parfois à travers les siècles. C’est le cas par exemple du Cameroun où l’on parle français et anglais, du Maroc où l’on parle arabe, français et berbère, de la Norvège où l’on parle norvégien, same et finnois, de l’Irlande où l’on parle anglais et gaélique irlandais, de Singapour où l’on parle anglais, malais, mandarin et tamoul, ou encore de l’Inde qui compte 18 langues officielles. Oui, la liste est extrêmement longue. Et les variétés linguistiques régionales qui accompagnent cette multitude de langues n’en sont que plus étendues. Au total, on peut compter près de 140 langues officielles dans le monde, auxquelles on peut ajouter une trentaine de langues officielles à dimension régionale.
Ce phénomène a été défini par la Division des Politiques Linguistiques du Conseil de l’Europe (47 pays membres) comme le « multilinguisme ». En clair, il s’agit de plusieurs langues parlées sur une zone géographique déterminée. Il faut en outre distinguer le multilinguisme du « plurilinguisme ». Ce phénomène est le fait pour un locuteur de parler plusieurs langues, qu’il s’agisse de la langue maternelle ou des langues apprises ultérieurement.
Ainsi, si l’on prend en compte l’ensemble des langues officielles dans le monde, ajoutons à cela le constat de l’Observatoire européen du Plurilinguisme qui affirme que les locuteurs plurilingues sont bien plus nombreux que les locuteurs monolingues, ou encore le classement des 10 langues les plus parlées au monde par le site Populations du monde où l’anglais est aujourd’hui à la deuxième place derrière le chinois mandarin, on pourrait se permettre de dire que la bataille pour la préservation des langues moins « importantes » n’est pas encore perdue. En outre, pour les effarouchés de l’anglais, notons aussi que de nombreuses institutions internationales ne se limitent pas à l’utilisation de l’anglais. L’ONU par exemple, dispose de 6 langues officielles : l’anglais mais aussi l’arabe, le chinois mandarin, l’espagnol, le français et le russe.
En Europe, l’Union européenne se fonde sur un principe essentiel : le principe du multilinguisme. En effet, le droit communautaire devant être transposé ensuite dans le droit national, chaque citoyen des pays membres doit avoir la possibilité de prendre part aux débats au sein de l’U.E. et de comprendre les textes dans sa langue officielle. Il s’agit là d’un principe de transparence et de démocratie fondateur de l’Union. Ce principe du multilinguisme, c’est-à-dire le principe selon lequel les langues officielles (au nombre de quatre à l’origine) de l’Union européenne sont les langues des États membres, est inscrit dans le Règlement n° 1 de 1958.
C’est dans ce contexte que la Direction Générale de la Traduction (DGT), le service de traduction de la Commission européenne, se charge de promouvoir et de veiller au respect du multilinguisme. C’est donc la DGT qui prend en charge la traduction de l’ensemble des documents et textes de loi de l’Union dans toutes les langues officielles : 24 langues officielles en 2014, soit 552 combinaisons de langues possibles.
Alors, oui, l’anglais est aujourd’hui une langue prépondérante. Mais son statut n’est pas immuable et des centaines d’autres langues perdurent, évoluent et sont encore bien vivantes et comptent le rester. Les institutions internationales s’efforcent en tout cas de les préserver parce qu’une langue représente une culture à part entière et une façon de penser bien spécifique. Ces institutions ont donc un besoin crucial de traducteurs internes, de traducteurs externes, des traducteurs indépendants et des sociétés de traduction. Aujourd’hui, les traducteurs exercent un métier en pleine effervescence et ont bel et bien du pain sur la planche ! Et, au moins pour l’Europe, nous pouvons citer Umberto Eco : « La langue de l’Europe, c’est la traduction ».