Les histoires de personnes autres que monolingues, c’est-à-dire des personnes qui parviennent à se débrouiller dans un environnement linguistique autre que celui dans lequel elles ont été élevées, contiennent toujours un éloignement géographique. Qu’il s’agisse d’une guerre forçant une personne à quitter son pays ou qu’il s’agisse de critères économiques, la plupart des personnes rencontrant une autre culture ainsi qu’un mode de vie sont inévitablement amenés à faire la rencontre d’une autre identité.
Se déraciner de son environnement pour aller s’installer ailleurs repousse les limites de la conscience et la sensibilité du « je ». Souvent, cette nouvelle conscience « transculturelle » se révèle par une sensation de malaise, d’éloignement intérieur qui, pour certains, se transforme en euphorie, lorsqu’ils découvrent l’intoxication d’une personne renouvelée, qui n’est plus rattachée à une identité fixe. En revanche, d’autres personnes risquent de plonger dans le déni et la dépression, souhaitant avec ardeur s’enfuir dans un monde étranger, rêvant de leur Éden initial qu’ils ont quitté.
Chacune de ces histoires est différente, chaque type et niveau d’éloignement présente des circonstances uniques. C’est le cas notamment d’enfants dont les parents appartiennent à des cultures différentes. Ici, le déracinement et la ré-identification ont eu lieu avant la naissance même de l’enfant. C’est en quelque sorte imprimés dans les gènes des enfants, ces derniers étant habitués à entendre le père ou la mère parler une autre langue, faisant l’expérience d’un sentiment d’appartenance à un pays ou à une culture, même lorsque l’on y a jamais vécu, et même si on est seulement monolingue.
Certaines zones de l’Europe du Sud, situées face au littoral nord-africain, subissent des vents de désert appelés « sirocco » et « ghibli ». Ces vents soufflent tellement forts que lorsqu’ils atteignent l’Europe, ils sont encore assez violents. Lorsque la température augmente, l’air s’épaissit de parfums troublants d’épices inconnues. Les vents africains semblent porter en eux les échos de voix lointaines, parlant une langue musicale inaccessible, un peu comme le bruit des oiseaux. Une humeur similaire à la nostalgie risque ensuite de vous envahir, cette envie de vous rendre en ces lieux lointains, tellement éloignés de la vie ordinaire.
Il s’agit d’une sensation qui ressemble en de nombreux aspects au rêve : le « mal d’Afrique » qui signifie être malade et renfermer en son âme, un malaise, pouvant s’agir d’un mal d’amour, mais pour quelque chose ou quelqu’un que l’on n’a jamais rencontré. Si vous êtes un Brésilien qui vit à l’étranger, il vous ait certainement déjà arrivé de ressentir la saudade, difficile à traduire en français. C’est une mélancolie particulièrement profonde, un désir intense pour quelque chose ou de quelqu’un que l’on aime et qui n’existe plus. Ces deux sentiments sont sans doute très liés en ce qu’ils résultent tous deux de la distance, mais sont pourtant complètement opposés. Alors que saudade est une expression de l’amour pour quelque chose ou quelqu’un, le mal d’Afrique est le désir de connaître autre chose.
Isabelle Eberhardt, exploratrice et écrivain du début du vingtième siècle, vécut et effectua de nombreux voyages en Afrique du Nord et mourut, telle une rock star, à l’âge de 27 ans. Ne pouvant plus supporter les conventions oppressives de la moralité européenne, elle décida de s’habiller en homme et de se convertir à l’islam. Sa haine pour elle-même se transforma en amour pour les autres et la conduisit jusque dans le désert pour mener pleinement une vie de bédouin.
Passion in the Desert est un film récent, basé sur une nouvelle écrite par Honoré de Balzac. Un officier français de la garde de Napoléon, appelé Augustin Robert, se lance dans une aventure dans l’Égypte de la fin du 18ème siècle. S’étant égaré à la suite d’une attaque des Mamelouks, Augustin se retrouve piégé dans une grotte jusqu’à ce qu’un léopard arrive par enchantement et tue un Bédouin qui était sur le point de tuer notre héros. Les péripéties qui suivent mettront à dure épreuve les limites psychologiques des voyageurs les plus expérimentés.
S’ensuit l’instauration d’une relation entre l’homme et le léopard qui se termine lorsqu’Augustin se déshabille et revêt son corps de boue et de sable afin d’endosser la couleur de la fourrure de l’animal tacheté de rosettes. De nombreux récits nous racontent l’histoire de métamorphes se transformant en loup ou en panthère ou lion. Quant à Augustin, il est un simple soldat qui devient un autre par amour.